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Quel appétit pour le risque depuis le début de la crise de la COVID-19 ?

Mise en ligne le 25 Juin 2021
Auteurs : Hadrien Camatte, Théophile Legrand, Quoc-Trieu Le

Billet n°221. L'évaluation du degré d'appétit des investisseurs pour le risque est d’intérêt pour la stabilité financière et pour l’analyse des marchés. Ce billet présente un indicateur d’appétit pour le risque développé à la Banque de France et illustre son apport à la compréhension des impacts de marché depuis le début de la crise de la COVID-19.

Image Indicateur d’appétit pour le risque depuis début 2020
Graphique 1 : Indicateur d’appétit pour le risque depuis début 2020 Sources : Bloomberg, calculs des auteurs

L’appétit pour le risque, une mesure du sentiment de marché

L’appétit pour le risque se définit comme la volonté des investisseurs de supporter un risque financier dans l'espoir de générer un profit futur (BCE, 2007). Ainsi, l'appétit pour le risque dépend du degré subjectif auquel les investisseurs sont prêts à supporter l'incertitude (Gonzàles-Hermosillo, 2008).

L'évaluation du degré d'appétit pour le risque est d’intérêt pour la stabilité financière, mais aussi à des fins d’analyse des marchés pour la définition de stratégies d’investissement ou d’allocation d’actifs. Les épisodes d'augmentation soudaine des primes de risque, de diminution de la liquidité du marché et de forte baisse des prix des actifs ont souvent été associés à la perte d'appétit pour le risque de la part des investisseurs (cf. Chatelais et Stalla-Bourdillon (2020) pour en savoir plus sur les sources de valorisation des marchés actions).

Les indicateurs de volatilité tels que le VIX (pour Volatility Index, il est établi quotidiennement par le Chicago Board Options Exchange) sur les marchés financiers américains ou le V2X (son équivalent européen) ne permettent pas d’appréhender pleinement l’appétit pour le risque des investisseurs, qui repose sur un plus grand nombre de classes d’actifs que les seuls marchés actions. C’est la raison pour laquelle certaines institutions financières (FMI), banques centrales (BCE, etc.) ou banques d’investissement ont développé d’autres indicateurs plus riches en information (cf. également Petronovich et Sahuc (2019) sur les conditions financières).

Comment est construit l’indicateur d’appétit pour le risque ?

L’indicateur d’appétit pour le risque (IAR) développé à la Banque de France est une moyenne de z-scores (écart à la moyenne exprimé en nombre d’écart-type) calculés : (i) à partir des cotations d’instruments financiers, essentiellement sur les marchés développés (Europe et États-Unis en particulier), mais aussi sur certains marchés émergents, notamment asiatiques, ainsi que (ii) sur des spreads entre ces instruments. L’idée sous-jacente est de capter la fuite des actifs risqués vers des actifs plus sûrs (et inversement) à partir de six classes d’actifs : les marchés actions, obligataires souverains, le marché du crédit, les matières premières, le marché des changes et la volatilité sur les marchés actions. Chaque classe d’actif est constituée d’un panier de variables financières représentatives. L’indicateur agrégé est calculé avec des données lissées sur trois mois.

Trois périodes de forte chute de l’appétit pour le risque sont identifiées par notre indicateur depuis 2007 (graphique 2) : la crise financière de 2008, la crise des dettes souveraines en zone euro (2010-2011) et la crise de la COVID-19. Si l’ampleur de la chute de l’appétit pour le risque a été légèrement plus prononcée lors de la crise de la COVID-19 que lors de la crise financière de 2008 ou de la crise des dettes souveraines, le retour de l’appétit pour le risque en territoire positif a été en revanche un peu plus rapide (quatre mois par rapport à six mois).

Image  Indicateur d’appétit pour le risque depuis 2007
Graphique 2 : Indicateur d’appétit pour le risque depuis 2007 Source : Bloomberg, calculs des auteurs

L’apport de l’IAR à la compréhension des impacts marchés de la crise de la COVID-19

L’indicateur d’appétit pour le risque permet d’appréhender les impacts de marchés de la COVID-19 à travers l’analyse de trois épisodes distincts de la pandémie, en décomposant la contribution de chaque classe d’actifs à son évolution (graphique 3).

Image Décomposition de l’indicateur d’appétit pour le risque par classes d’actifs depuis janvier 2020
Graphique 3 : Décomposition de l’indicateur d’appétit pour le risque par classes d’actifs depuis janvier 2020 Source : Bloomberg, calculs des auteurs

Épisode 1 : Fin février-début mars 2020 (pic de l’aversion pour le risque)

La pandémie de COVID-19 se diffuse à travers le monde : l’activité économique est mise à l’arrêt en raison des mesures de confinement prises presque partout dans le monde. La plus forte correction sur les actifs risqués est observée le 9 mars 2020 ("lundi noir", Eurostoxx 50 : -8,5%, S&P500 : -7,6%). L’indice d’appétit pour le risque capte ce mouvement d’aversion pour le risque et atteint son point le plus bas de l’année 2020 (graphique 4).

La décomposition de l’IAR fait ressortir que la chute de l’appétit pour le risque résulte de l’ensemble des composantes, avec des contributions marquées du marché du crédit (écartement des spreads de crédit), de la chute des marchés actions et du pic de volatilité : les indices de volatilité atteignent lundi 16 mars leur plus haut depuis 2008 (VIX à 82,7 et V2X à 85,6) à la suite de l’annonce de nombreux confinements en Europe.

L’annonce de mesures de soutien de la part des principales banques centrales (Odendahl et al., 2020 et Penalver et Szczerbowicz, 2021) permet de restaurer la confiance des investisseurs et un retour de l’appétit pour le risque. En zone euro, l’Eurosystème introduit plusieurs mesures de soutien (Grossman Wirth 2020), dont le programme d’achats d’urgence face à la pandémie (Pandemic Emergency Purchase Programme, PEPP) le 18 mars 2020.

Épisode 2 : Octobre 2020 (retour de l’aversion pour le risque)

Lors de la semaine du 26/10, l’indicateur d'appétit pour le risque retourne nettement en territoire négatif pour atteindre son plus bas niveau depuis avril avant de se stabiliser à un niveau toutefois bien supérieur à son point bas de mars. Ce retour de l’aversion pour le risque (VIX au-dessus de 40 et V2X à 38) traduit le regain d’incertitude du fait de la reprise épidémique, notamment en Europe, et des annonces de restrictions et de nouveaux confinements. La décomposition de l’IAR (graphique 4) fait ressortir la contribution très marquée de la composante "volatilité sur les marchés actions".

Deux différences sont toutefois à souligner par rapport à la forte chute du mois de mars. Premièrement, les spreads de crédit se sont faiblement écartés et le recul des rendements obligataires souverains a été beaucoup plus modéré. Les analystes considèrent que les mesures des pouvoirs publics ont contribué à éviter un fort retour d’aversion pour le risque, malgré de nouvelles restrictions. Deuxièmement, la composante "marchés actions" est restée en territoire positif. Malgré la correction observée sur les marchés actions américains et européens, les indices actions asiatiques ont fait preuve d’une forte résilience.

Image Décomposition de l’indicateur d’appétit pour le risque en mars 2020 et entre octobre et décembre 2020
Graphique 4 : Décomposition de l’indicateur d’appétit pour le risque en mars 2020 et entre octobre et décembre 2020 Sources : Bloomberg, calculs des auteurs
Image Décomposition de l’indicateur d’appétit pour le risque en mars 2020 et entre octobre et décembre 2020
Graphique 4 : Décomposition de l’indicateur d’appétit pour le risque en mars 2020 et entre octobre et décembre 2020 Sources : Bloomberg, calculs des auteurs

Épisode 3 : Novembre-Décembre 2020 (retour de l’appétit pour le risque)

L’appétit pour le risque a connu un rebond spectaculaire fin 2020 (graphique 3). Cela fait suite, d’une part, à la levée des incertitudes liées à l’issue de l’élection présidentielle américaine (victoire de J. Biden annoncée par plusieurs médias le 7 novembre), d’autre part et surtout, aux annonces relatives à la mise au point de vaccins (Pfizer-BioNTech le 9 novembre et Moderna le 16 novembre), qui ont constitué un changement décisif dans la perception du sentiment de marché à l’origine de la remontée observée en fin d’année 2020. Cette recrudescence de l’appétit pour le risque s’est matérialisée par une forte hausse des valeurs cycliques sur les marchés actions (composante "marchés actions"), un resserrement des spreads de crédit et une remontée des rendements obligataires souverains dans un mouvement de pentification aux États-Unis et dans une moindre mesure en zone euro (composante "marché obligataire souverains").

Entre janvier et mi-mars 2021, l’indicateur d’appétit pour le risque évolue fermement en territoire positif, proche de ses plus haut historiques (graphique 2), porté par la quasi-totalité de ses composantes. Depuis mi-mars, il évolue globalement en territoire positif, mais à des niveaux moins excessifs. Cela traduit avant tout l’absence de mouvements extrêmes sur les principales classes d’actifs.